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La face cachée de l’île Maurice

Si le joyau de l’océan Indien est couru pour ses plages de sable blanc, il mérite aussi le voyage pour son histoire, celle des travailleurs engagés qui débarquaient à l’Aapravasi Ghat, aujourd’hui classé au Patrimoine mondial de l’humanité, et ses randonnées dans la forêt primaire.

D’abord il y a l’éblouissante découverte de l’île par le hublot, les lacs comme des miroirs, les pics acérés des sommets volcaniques, le vert vif qui domine tout. Maurice est une splendeur avant même qu’on s’y pose. L’île se vit souvent dans l’enclos d’un hôtel de luxe, face à l’océan. Mais faut-il vraiment faire tant de kilomètres rien que pour ça ? Entre forêt d’ébéniers en grand danger et culture de la canne à sucre, entre maisons coloniales devenues chambres d’hôtes, culture créole et spiritualité hindoue, Maurice raconte sous un soleil éblouissant une tout autre histoire.

Une jungle d’ébène


Des troncs frêles tachés de noir et de blanc, un diamètre qui n’excède pas 20 cm mais des hauteurs déjà impressionnantes, tels sont les ébéniers – dont le cœur est l’ébène – de l’île Maurice aujourd’hui. On les découvre en visitant la bien nommée Ebony Forest à Chamarel, à l’extrémité sud-ouest de l’île. Dans le petit musée qui précède la balade, on comprend qu’à l’arrivée des Hollandais, en 1598, cette espèce endémique couvrait absolument toutes les terres de Maurice, et que les troncs d’ébénier étaient si larges que la jungle était impénétrable. Une section d’un tronc d’ébénier exposée dans le musée, de plus d’un mètre de diamètre, en témoigne.

Plus aucun ébénier de l’île ne fait cette taille, ni ne s’en approche. La culture de la canne à sucre n’a laissé que 3 % de la surface de l’île à la forêt primaire. A Ebony Forest, outre l’accueil des visiteurs, on replante les ébéniers, en supprimant les végétaux importés qui étouffent la forêt indigène des zones protégées. La visite se fait à pied ou en 4 × 4 car l’ascension vers le sommet est rude. Mais quelle récompense ! La vue sur La Gaulette, l’île aux Bénitiers et le morne Brabant est sublime.

Le sucre à Pamplemousses


La culture de la canne à sucre sur l’île Maurice charrie à peu près toutes les horreurs de la colonisation : destruction du milieu naturel, esclavage, travail forcé… L’Aventure du sucre, un grand musée initiatique et sensoriel installé dans une ancienne usine, à Pamplemousses, au nord de l’île, ne cache rien de cette réalité. Car le sucre et Maurice sont désormais indissociables : des plantations aux pâtisseries, de la botanique à la mécanique, entre leçon de choses et épopée industrielle, L’Aventure du sucre propose une découverte qui aide à comprendre le roman national. Douze sucres différents, non raffinés, peuvent être goûtés sur place, ainsi que la canne à sucre elle-même, juteuse comme une friandise.

Il reste aussi de grandes demeures coloniales, comme le château de Labourdonnais, construit au milieu du XIXe siècle. Touristiquement, c’est un peu le Versailles mauricien. Plus modeste mais plus authentique, la Demeure Saint Antoine ouvre quatre de ses chambres aux hôtes de passage. A dix minutes de Grand Baie, cette maison toujours habitée par les descendants d’Edmond de Chazal, qui la fit construire en 1830, est entièrement ceinte d’une varangue, une véranda créole plantée de colonnes majestueuses, si typique de l’île. C’est aussi une table réputée, où l’on peut boire le thé ou dîner sous les flamboyants en fleurs du parc.

Chayote, cari et faratas


Comment ne pas avoir un coup de foudre quand on rencontre Marie-Michelle Lindor et son acolyte Brigitte Canotte dans la modeste maison de la première, à Midlands, sur le plateau central de l’île, où elles ont ouvert leur table d’hôte, Kot Marie-Michelle, il y a plus de dix ans. Non seulement elles vous accueillent bras grands ouverts, mais elles parlent divinement de cuisine. « Kot » signifie « chez », et ici on déjeune comme en famille, après un cours de cuisine si l’on n’est pas trop nombreux.

Aujourd’hui, nous nous attaquons à la chayote, le chouchou, sous deux formes : le fruit, fondant comme un cœur d’artichaut ; et le brède chouchou, c’est-à-dire les feuilles. Il y a des influences indiennes : le cari sera de poulet, et nous aidons Brigitte à faire les faratas, de la pâte à la poêle où ils gonflent comme des ballons. Marie-Michelle se souvient de ses origines. « Notre cuisine créole, c’est celle des esclaves qui fuyaient les plantations », dit-elle en faisant réchauffer un civet de cochon marron, du sanglier, préparé avec du vin et des épices. Elle fait aussi du cerf et surtout du hérisson, le tangue mauricien. « Mais pas aux touristes ! C’est dommage parce que c’est très bon. » A table, tous les plats sont servis ensemble, et les vies de Marie-Michelle et de Brigitte défilent entre les rires.

Conscients que leur déconnexion de la culture locale était une faiblesse, les hôtels mauriciens se mettent au diapason, notamment ceux du groupe Sun Resorts. Prakash Seetul, le chef du Longbeach, à Belle Mare, a voulu interpréter la cuisine mauricienne avec des savoir-faire français. Passé par le Crillon, ce chef mauricien d’origine indienne est allé à l’institut Paul Bocuse, à Lyon. Résultat, les produits de l’île, canard, cerf ou vieille rouge, un poisson endémique, sont préparés dans l’esprit gastro tout en exhaussant les saveurs d’épices et de fruits qui les accompagnent. Le thon chocolat blanc wasabi au vinaigre de mangue est un délice, et la longe de cerf aux feuilles de curry est fondante à souhait.

Mémoires vives


Aapravasi Ghat, à Port Louis, est sans conteste un des lieux les plus émouvants de l’île Maurice. On y découvre la sinistre histoire de l’engagisme, une forme de travail inventé par les Anglais après l’abolition de l’esclavage mais qui s’y apparentait largement. A Maurice, environ 500 000 engagés, à 97,5 % indiens, arrivèrent par ce dépôt d’immigration aujourd’hui restauré et classé au Patrimoine mondial de l’humanité. En visite libre ou guidée, l’Aapravasi Ghat est aussi un passage obligé si l’on veut comprendre l’importance de la culture indienne à Maurice. Car plus de la moitié des Mauriciens pratiquent l’hindouisme, soit environ 800 000 fidèles.

Le site de Grand Bassin, couvert de temples et dominé par une statut de Shiva de 33 mètres de hauteur, est leur lieu le plus sacré. Lors de la Mahashivratri, une fête religieuse qui célèbre Shiva une fois par an, les hindous mauriciens convergent en processions vers Grand Bassin. En 2020, la Mahashivratri aura lieu le 21 février, il faut absolument y assister si l’on est sur l’île à ce moment-là. Le lac, en altitude, est entouré de forêts et de plantations de thé. A Maurice, on l’aime parfumé à la vanille, avec beaucoup de lait et de sucre. Une douceur de plus sur une île qui assume désormais aussi le goût parfois amer de son histoire.

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